30 / 11 / 2022
À la découverte de l’économie bleue
L’économie verte tout le monde connaît, mais savez-vous ce que c’est que l’économie bleue ? C’est un concept génial, intelligent et complètement novateur, élaboré par Gunter Pauli. J’adore cet homme, c’est mon mentor. Je l’ai interviewé à Montpellier en 20201 à l’occasion de la sortie de son livre L’économie bleue2. Lisez-le ! Comme moi, il vous redonnera l’espoir, celui tant de sauver notre planète qui croule sous les déchets et autres polluants que de retrouver une société humaine plus juste, où chacun est utile, participe de l’ensemble du système, où la coopération prime, comme dans la nature ! C’est son « business model ». Imaginez un monde sans déchet, donc sans émission, Gunter Pauli l’a fait, et c’est du concret.
Faire d’une pierre trois coups
Copier la nature et le fonctionnement en cascade de ses écosystèmes, où rien n’est considéré comme inutile, où tout ce qui est produit est réutilisé, les déchets des uns devenant la matière première des autres, pour résoudre la crise écologique certes, mais aussi les crises économique et sociale… L’économie bleue de Gunter Pauli, entrepreneur et économiste belge - souvent dit le « Steve Jobs » ou le « Che Guevara du développement durable » -, c’est cela. Ou comment s’inspirer des écosystèmes naturels pour développer une économie durable basée sur la mobilisation des entreprises du territoire, l’utilisation de ce qui est localement disponible et la valorisation des déchets, en les considérant non pas comme des rebuts, mais comme des ressources à mettre à profit, et ainsi tendre au zéro déchet. Zéro déchet zéro émission.
Dans la nature, le déchet de l’un est toujours l’aliment, l’apport énergétique ou la source matérielle de l’autre. Par exemple, les feuilles d’un arbre deviennent les nutriments pour les bactéries, les fourmis et les vers, dont les excréments deviennent à leur tour les nutriments de l’arbre. Rien n’est perdu, tout est réutilisable. De ce fait, pas de déchet.
Soyons aussi intelligent qu’elle, comme le dit Gunter Pauli, et l’abondance est à portée de main. Tout est là.
Non seulement ce nouveau modèle de système économique est complètement révolutionnaire - en regard du modèle actuel antinaturel au possible, surproductif, surconsommateur, pollueur et injuste, car il ne profite qu’à une minorité… -, mais, en plus, il n’a rien d’une utopie : il fonctionne avec des résultats concrets !
Gunter Pauli a créé une fondation dans les années 1990 : la fondation ZERI pour Recherche et initiative pour zéro pollution. Cette fondation, qui réunit autour de lui 3000 chercheurs et un millier d’entreprises de par le monde, peut se targuer aujourd’hui de nombreux projets réussis dans le monde entier, surtout en Asie, en Afrique, en Amérique latine et en Asie. En Chine, qui plus est, ses contes écologiques (Les fables du Gunter) sont enseignés dans toutes les écoles du pays, selon les volontés du gouvernement.
Il existe aujourd’hui des centaines d’initiatives, dont il donne des exemples dans son livre, qui créent sans déchets, génèrent des emplois, et vont au-delà de la préservation et de la conservation de la nature, parce que l’économie bleue ne recycle pas, elle régénère.
Des déchets à n’en plus finir
L’idée générale de l’économie bleue est simple et il est grand temps de l’appliquer. Notre style de vie réclame en effet toujours plus d’énergie, qu’elle soit fossile, nucléaire, minière, photovoltaïque ou éolienne. Nous venons de franchir le cap de 8 milliards d’habitants sur cette Terre, et si la consommation des 10 milliards d’êtres humains que nous serons en 2050 devait être proportionnellement équivalente à ce que nous consommons aujourd’hui, nous aurions besoin de trois planètes.
Le système économique actuel ne sait que générer déchets et pollutions en tous genres. Déchets industriels : une tonne d’ordures ménagères pour 71 tonnes de produits miniers, manufacturés ou transportés. Déchets nucléaires, qui nous accompagnent pour toujours. Quant aux déchets agricoles, parlons-en… On ne cultive le riz, par exemple, que pour ses grains, le reste est inutilisé. Les brasseries, quant à elle, n’utilisent que l’amidon de l’orge, le reste est jeté. Dans la culture du maïs, on ne conserve que les épis pour en faire des aliments, des plastiques ou du carburant. Du café, dont le potentiel est incroyable et dépasse largement le petit expresso du matin comme nous le verrons ensuite, on ne garde que les grains, le reste pourrissant sur pied, exceptionnellement composté, mais « truffé » de produits chimiques. Du sucre de canne, on ne conserve que 17% de la plante, le reste étant brûlé. Pour faire du papier, on utilise seulement la cellulose du bois, le reste (du bois à 70%) est incinéré… Du pur gâchis ! Car c’est une mine d’or à portée de main.
L’économie verte a été un échec
Bref, il faut que cela cesse et maintenant. L’économie verte a failli inverser la tendance. Elle a bien tenté de le faire, mais elle n’a réussi à devenir ni pérenne ni viable.
Elle est injuste : ce qui est bon pour nous et bon pour l’environnement est cher, et elle a ses limites. Par exemple, presque tous les produits plastiques (même la majorité des biodégradables) ne se dégradent pas dans les sols, les mers et les océans ou par le soleil.
Gunter Pauli a lui-même fait la triste et frustrante expérience de ses limites au sein de la société Ecover, fabricant européen de produits de nettoyage biodégradables. Leur composant biodégradable de base - les acides gras de l’huile de palme - a eu un tel de succès auprès des géants du secteur qu’ils se sont mis à l’adopter très vite, ce qui a conduit de nombreux exploitants, notamment en Indonésie, à remplacer de vastes étendues de forêt par des exploitations de palmiers. La destruction de la forêt tropicale a entraîné celle du milieu naturel des orangs-outans. « Biodégradabilité » et « recyclable » ne voulaient pas nécessairement dire « développement durable » : une leçon pénible et douloureuse qui a marqué Gunter pour le reste de sa vie, selon ses propres termes.
Et d’en venir à ce concept novateur : le développement durable n’est possible que si nous éliminons la production de déchets pour privilégier une intégration totale dans laquelle les énergies et les nutriments se combinent… comme le fait la nature depuis des millions d’années. C’est cet équilibre « naturel » qu’il nous faut viser, où tout est utilisé en tant que tout a une valeur (ce qui n’a pas été utilisé par l’un peut être utile à l’autre) à l’intérieur du système. En un mot, il nous faut copier l’effet cascade de la nature avec nos déchets.
Ce ne sont pas des paroles en l’air comme le montre ce qui existe déjà concrètement aujourd’hui.
Utiliser des déchets de cuisine pour fabriquer du plastique
Les plastiques peuvent être fabriqués selon la logique de l’intégration de l’énergie et des aliments, grâce un procédé qui, quasiment à température ambiante, utilise un champignon pour convertir en acide polylactique l’amidon provenant des restes des restaurants3.
La canne à sucre pour cultiver des champignons
Vous vous souvenez que l’on utilise que 17% de la plante ? Le reste, appelé bagasse ou biocombustible, est incinéré. Or, cette bagasse peut être utilisée pour fabriquer du papier ou du carton comme cela a été fait dans plusieurs pays comme l’Argentine, l’Inde et le Brésil. À toute petite échelle, bien sûr.
Je reviendrai sur le papier ensuite, qui s’appuie sur d’immenses plantations de pins et d’eucalyptus.
La bagasse est surtout et aussi un excellent substrat pour cultiver les champignons, jusqu’à 200 kilos.
La bagasse est de la cellulose que l’on peut convertir en alcool par transformation bactérienne donc naturelle. En combinant cet alcool et de l’huile, on obtient des monomères pour la production des polymères, ou bioplastiques. Vous imaginez le potentiel !
Incroyable café
Quant au café, en termes de potentiel, c’est le pompon !
Le café c’est au bas monde 90 millions de tonnes de déchets… Il en génère trois sortes, le plus gros résultant de l’exploitation : c’est la pulpe issue des premières étapes de la transformation (triage, séchage, lavage), appelée cascara, très riche en antioxydants. La torréfaction engendre, quant à elle, le film fin pergamin, et enfin, consommer un café, c’est générer du marc. Entre le moment entre les grains de café quittent les fermes et le moment où ils finissent dans nos tasses, 99,8% de leur masse est mise au rebut ; seulement 0,2% est ingéré4. Du délire, et voici pourquoi.
Le marc de café est un très bon substrat pour cultiver les champignons, dont les déchets végétaux, riches en acides aminés essentiels, peuvent nourrir les animaux, vos poules par exemple.
Vous avez donc des champignons riches en protéines pour vous (ou destinés à la vente le cas échéant, si vous êtes producteur) et vos poules ont une alimentation saine : c’est l’effet cascade. Et au passage, vous aurez peut-être sauvé les chênes tout en satisfaisant votre grand appétit pour le fameux shiitake. Ce dernier prospère en effet principalement sur un substrat de copeaux de bois de chêne et la hausse de la demande en shiitake s’accompagne en Chine d’une accélération de la déforestation des forêts de chêne. Or, le caféier est un bois dur, comme le chêne et il a été démontré que le café était un substrat idéal pour la production de shiitake certes, mais aussi du roi des champignons médicinaux, le reishi.
Le café et les champignons s’entendant particulièrement bien, et puisque nous parlons du reishi, Gunter Pauli et sa grande équipe ont imaginé pour nous un café meilleur pour la santé en proposant une infusion de champignon médicinal à rajouter dans un expresso. Un peu de reishi dans le café du matin serait un fortifiant naturel efficace. Café dont il pourrait, qui plus est, corriger l’acidité, balançant le pH naturellement et améliorant sa métabolisation.
Et ce n’est pas encore fini, le marc de café peut également être utilisé dans le contrôle des odeurs en en mélangeant 3% aux fils textiles, ou comme protection solaire, parce que le café résiste aux rayons ultraviolets.
Quant à la cascara, riche en antioxydants, elle peut servir à fabriquer des barres énergétiques, du « café solide » comme le dit Gunter. On y ajoute du beurre de cacao et une toute petite pincée de sel de mer, et on obtient un produit à manger riche en caféine et très riche en antioxydants. Et zéro déchet…
Et le chardon…
Tout ce que l’humain ne comprend pas, il le jette. Tout ce qui est dans la nature n’est pas là pour être beau et nous pouvons faire quelque chose des milliers d’hectares du très mal aimé chardon, il pousse partout ! Or, sa fleur (très jolie au demeurant) s’avère un excellent ferment naturel à saupoudrer sur votre lait de chèvre, par exemple.
Et il existe bien d’autres exemples de valorisation des déchets en s’inspirant des écosystèmes naturels : des panneaux solaires à base d’algues, du papier fait avec de la pierre et sans utilisation d’eau. Il se compose notamment de carbonate de calcium et de résine. À l’inverse du papier classique, sa fabrication ne nécessite ni produits de blanchiment, ni végétaux, et il a une durée de vie supérieure parce qu’il peut être recyclé un nombre de fois bien plus important.
Des recherches sont en cours sur des polymères à base de soie, les furanes issus des algues qui maîtrisent la formation de biofilm en gélifiant les bactéries, où même les biofilms déjà en place ont tendance à se désintégrer, donc des applications que l’on peut imaginer dans les déodorants ou les brosses à dents, ou encore antibiotiques.
La Li-Fi
Pour terminer parce que ce serait vraiment trop long d’énumérer tous les exemples existants (que je vous invite à lire en détail dans le livre de Gunter Pauli), une autre utilisation géniale de ce qui est déjà là naturellement, c’est celle de la lumière, qui est gratuite, elle, et sans risque pour la santé.
À l’heure où l’on veut nous imposer la 5G, alors que l’on connaît déjà les risques pour la santé des anciennes générations d’ondes, la Li-Fi (pour Ligh Fidelity) une technologie de communication sans fil basée sur l’utilisation de la lumière visible, sans les ondes du Wi-fi, mérite toute notre attention. Basée sur les LED, dont les applications sont multiples, on peut imaginer, par exemple, des éclairages publics à base de Li-Fi avec le double effet lumière et communication.
Ainsi, tout est là et bien là en effet. Il nous faut juste apprendre à mieux cultiver et consommer ce que notre planète produit déjà simplement en observant les phénomènes naturels, en en comprenant les fonctionnements et les imitant. Un rappel au réel en somme, car la nature et nous ne sommes qu’un, et nous l’avons oublié il y a fort (et bien trop) longtemps…
1 – Le Vitaliseur de Marion, 15 octobre 2020
2 – L’économie bleue 3.0, Éditions de l’Observatoire, Gunter Pauli, 2020
3 – Travaux du Pr Yoshihiro Shirai et e son équipe
4 – cité en note 2
Marion Kaplan et Myriam Marino.