11 / 07 / 2024
Focus sur le curcuma
Le curcuma, dont le composant actif est la curcumine, est considéré comme la super star des épices en raison des nombreuses vertus qui lui sont attribuées. Des compléments alimentaires sont désormais proposés augmentant sa biodisponibilité et son absorption pour en tirer le maximum de bénéfices. Nous avons voulu en savoir plus sur le sujet.
Le curcuma en quelques mots
Le curcuma est obtenu à partir de la réduction en poudre de la racine souterraine (ou rhizome) du Curcuma Longa, plante originaire de l’Asie du Sud-est. Les extraits de rhizomes de curcuma contiennent des curcuminoïdes, comme la curcumine, qui seraient les composants actifs et qui donnent la couleur jaune à cette épice.
Très appréciée en cuisine, la poudre est utilisée directement ou mélangée à d’autres épices dans les currys, la poudre à Colombo, ou encore le ras el-hanout. Notamment.
Le curcuma fait partie de la famille du gingembre (Zingiberaceae) et est abondamment prescrit pour traiter diverses affections dans la médecine traditionnelle chinoise et indienne depuis des lustres. Les préparations à base de curcuma sont, par exemple, appliquées sur des plaies et des contusions fraîches, et contre les irritations causées par les piqûres d’insectes. Le curcuma est utilisé dans les maladies urologiques, les maladies hépatobiliaires et comme vermifuge. Il a également été décrit comme un remède contre le cancer dans la littérature indienne1.
Pléthore de publications sur moult vertus
Le curcuma connaît depuis quelques années un véritable engouement accompagnant la pléthore d’études mettant en lumière les multiples mérites de cette « épice dorée ».
Plus de 15 000 publications à ce jour, rapportant une large variété d’activités biologiques de la curcumine et son intérêt dans les indications suivantes : anti-inflammatoire, anti-HIV, antibactérienne, antifongique, nématocide, antiparasitaire, antimutagène, antidiabétique, antifibrinogène, radioprotectrice, cicatrisante, hypolipidémiante, antispasmodique, immunomodulatrice, anticancérigène, anti-Alzheimer, anti-âge (contre le vieillissement et les maladies liées à l’âge), ou encore en prévention de la Covid-19. Entre autres. Parce que pour nombre d’articles, analyses, brevets et autres sites web, vous pouvez aussi utiliser la curcumine (et sa principale source commerciale le curcuma) comme traitement contre la gueule de bois, la dysfonction érectile, la calvitie, l’hirsutisme, stimulant la fertilité et extrait contraceptif… Tout et son contraire parfois, donc.
La curcumine interagirait avec environ 200 cibles pharmacologiques potentielles dans le corps humain2.
Un enthousiasme général dénué de toute critique pour l’utilité potentielle de la curcumine néglige souvent son « côté obscur », selon les auteurs d’une étude fort intéressante et éclairante, parue en 20173, et dont les conclusions sont bien plus nuancées.
Le curcuma est amplement utilisé par l’industrie agroalimentaire dans les confiseries, produits laitiers, crèmes glacées et autres plats préparés et aliments transformés et ultra transformés. Et les limites sont hautes, ce(s) composé(s) étant « généralement reconnus comme sûrs » (GRAS), par la FDA depuis 1994, en tant qu’additif alimentaire à des niveaux allant jusqu’à 20 mg par portion.
Outre l’industrie agroalimentaire, le domaine de la recherche « tire » pas mal de bénéfices à s’y intéresser. De 1995 à 2017, selon le NIH RePORTER américain4, les fonds fédéraux dépassant les 150 millions de dollars ont été accordés pour des projets liés, directement ou indirectement, à l’exploration biomédicale de la curcumine.
Le « côté obscur » de « l’épice dorée »
Les études existent, qui montrent un tout autre aspect du curcuma et de curcumine : ce « côté obscur » souvent négligé, nous le disions, sur lequel Nelson et ses collègues ont fait la lumière en 2017. Cette étude est très importante tant en termes d’analyse impartiale que du nombre de références de publications : pas moins de 164. Et voici ce qu’elle dit en substance.
L’activité présumée de la curcumine in vitro et in vivo a donné lieu à plus de 120 essais cliniques sur les curcuminoïdes contre plusieurs maladies. Aucun essai clinique en double aveugle, contrôlé par placebo, sur la curcumine n’a été couronné de succès. Pour aucune indication. Vous avez bien lu. Ce manque de succès au rendez-vous dans la clinique figure parmi les caractéristiques « occultées » dans les études sur la bioactivité de la curcumine ou de ses analogues. Les autres caractéristiques étant son instabilité chimique, ou encore ses mauvaises propriétés ADME (absorption, distribution, métabolisation et excrétion), ou encore ses effets toxicologiques potentiels.
Très faible biodisponibilité
La curcumine a une très faible biodisponibilité. Elle est en effet inférieure à 1%, ce qui entraîne de faibles quantités en circulation pour une activité systémique efficace. Le curcuma contient jusqu’à 5% de curcumine, ce qui signifie qu’il ne contient que 5% du composant bioactif et seulement 1% de ces 5% est accessible pour une action dans le corps5.
Outre sa très faible absorption orale, la curcumine est métabolisée et éliminée rapidement ne permettant qu’un faible pic de concentration plasmatique de courte durée pour des doses administrées élevées. Une étude menée chez l’homme a mis en évidence qu’elle est indétectable dans le sérum pour des doses administrées de 500 à 8 000 mg. Aux doses supérieures à 8 000 mg, elle n’est détectable que chez 2 patients sur 24, et elle est de l’ordre du ng/ml de plasma après 1, 2 et 4 heures, soit 50,5 ng/ml à 4 heures pour la dose de 10 000 mg et 51,2 ng/ml à 4 heures pour la dose de 12 000 mg.
Côté métabolisme, la très petite fraction de curcumine absorbée au niveau intestinal est rapidement métabolisée au niveau du foie. Pour les initiés, le métabolisme de phase I conduit aux dihydro-, tétrahydro-, hexahydro- et octahydrocurcumines. Le métabolisme de phase II fournit des dérivés conjugués de la curcumine et de ses métabolites de phase I, tels que les glucuronides (sous l’action des UDP-glucuronyltransférases) et des sulfates (sous l’action des sulfotransférases) sur les positions phénoliques.
Un missile qui n’atteint jamais sa cible
La curcumine et les curcuminoïdes apparaissent comme des composés appelés PAINS (ou pan-assay interference compounds).
Les PAINS (ou pan-assay interference compounds) sont des composés chimiques qui donnent souvent des résultats faussement positifs car ils ont tendance à réagir de manière non spécifique avec de nombreuses cibles biologiques plutôt que d’affecter spécifiquement une cible souhaitée. Ces composés ont montré une activité dans plusieurs types de tests en interférant avec la lecture du test plutôt que par des interactions spécifiques composé/cible. La curcumine a de multiples modes d’interférence dans les essais. En ce sens, expliquent Nelson et ses collègues, la curcumine se caractérise mieux comme un missile qui explose continuellement sur la rampe de lancement sans jamais atteindre l’atmosphère ou sa ou ses cibles prévues.
Les essais sur l’humain n’ont montré aucun effet toxique, et la curcumine serait sans danger par voie orale à la dose de 6 g par jour pendant 4 à 7 semaines. Son innocuité, la tolérance élevée observée chez l’homme et le faible taux d’événements indésirables sont probablement dus à sa mauvaise absorption et à sa faible biodisponibilité.
Pour autant la curcumine (et ses produits de dégradation) montrerait, selon Nelson et ses collègues, une large réactivité contre un certain nombre d’enzymes humaines.
La curcumine apparaîtrait également comme un chélateur actif du fer in vivo, induisant un état de carence manifeste en fer chez les souris nourries avec un régime pauvre en fer. Il convient donc de vérifier votre statut en fer en raison de ce potentiel d’affecter le métabolisme du fer.
Dans des études d’utilité thérapeutique, la curcumine a été signalée comme cytotoxique contre un nombre important de lignées cellulaires cancéreuses. Mais elle présenterait également une cytotoxicité contre les lymphocytes humains normaux.
Les auteurs incitent donc à la prudence en ce qui concerne les compléments alimentaires visant à fortement augmenter l’absorption et la biodisponibilité, de 4 à 185 fois supérieure à celle de la curcumine non formulée, pouvant en réalité conduire à une exacerbation des effets secondaires toxicologiques de la curcumine, compte tenu de ses effets cytotoxiques.
Les stratégies pour augmenter l’absorption et la biodisponibilité
Différentes stratégies sont proposées pour augmenter la biodisponibilité de la curcumine par voie orale dans l’objectif d’augmenter ses effets.
La curcumine n’est pas soluble dans l’eau, mais elle l’est dans les graisses. La consommer en même temps que des matières grasses est une première approche pour augmenter son absorption. En Asie du Sud, le curcuma est souvent consommé avec du ghee, du lait animal ou de coco. Dans les compléments alimentaires, c’est l’huile essentielle de curcuma riche en ar-tumérone qui fait office de gras, qui augmente d’environ 7 fois la biodisponibilité.
Différentes techniques ont été développées (complexe phytosomal, liposomes, particules de curcumine solide-lipide (SLCP), nanoparticules colloïdales, micelles, encapsulation avec cyclodextrines), requérant pour certaines l’usage d’additifs controversés qu’il est préférable d’éviter. Le polysorbate 80 (E433), par exemple, est utilisé pour obtenir des micelles de curcuma, émulsifiant largement utilisé dans l’industrie agroalimentaire. Comme le souligne Julien Venesson, il perturbe la composition du microbiote intestinal et augmente aussi la perméabilité intestinale, ce qui peut favoriser l’apparition des maladies auto-immunes6.
Les suppléments de curcuma apportent également de l’oxalate. Une étude a montré que la consommation de doses supplémentaires de curcuma peut augmenter considérablement les niveaux d’oxalate urinaire, augmentant ainsi le risque de formation de calculs rénaux chez les personnes sensibles7.
Il convient donc d’éviter ces compléments si vous y êtes sensible et si vous avez démarré une cure de smoothies et jus verts. (Lien vers Smoothies et jus de légumes verts : que choisir ?).
Quand vous choisirez vos compléments alimentaires, évitez ceux qui contiennent de la pipérine (constituant du poivre noir). Le poivre noir, en effet, intervient dans le métabolisme du médicament.
La pipérine en effet inhibe la glycoprotéine P (P-gp), transporteur de médicaments et le cytochrome P450 (CYP3A4), enzyme participant au métabolisme des xénobiotiques. Ceci est susceptible, de fait, d’augmenter leur concentration plasmatique et leur toxicité.
Des signaux d’alerte commencent à être émis
Des signaux d’alerte ayant été émis récemment quant aux effets indésirables notamment hépatiques, hépatocellulaires précisément, dans différents pays (France8, Italie, États-Unis et Australie), vérifiez bien avant de commencer un complément alimentaire contenant du curcuma ou de la curcumine, que votre foie fonctionne bien. L’accent est notamment mis sur ceux qui contiennent de la pipérine. Ce qui ne présente donc un risque augmenté que si on prend certains médicaments, notamment des anti-coagulants et des antiplaquettaires, et si on est porteur du HLA-B*35 :01, qui est considéré comme un facteur de risque de lésion hépatique idiosyncrasique dû à des suppléments de curcuma. Une forte liaison a été identifiée. Pour plus de détails sur le système HLA, nous vous invitons à lire ou relire notre article sur le sujet : Génétique et épigénétique : comment ne pas tomber malade.
Aussi, compte tenu des propriétés du curcuma sur la sécrétion de bile, sa consommation est déconseillée aux personnes souffrant de maladie des voies biliaires.
Le risque de toxicité potentielle apparaît donc dans des cas très particuliers. Ces compléments restent très utiles en raison de leurs nombreux bénéfices et apportent des améliorations dans le domaine articulaire, par exemple - mais pas que -, dont il serait dommage de se priver. Les effets positifs du curcuma sur le microbiote intestinal, aussi, nous protégeant de nombreuses maladies, restent reconnus.
En conclusion, utiliser le curcuma en cuisine comme épice pour relever vos plats est une très bonne idée, rappelez-vous toujours que c'est la dose qui fait le poison !
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Marion Kaplan et Myriam Marino.
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Notes :
1 - The essential medicinal chemistry of curcumin, Miniperspective, Nelson et al., Journal of Medicinal Chemistry, 2017
2 - Le rôle du curcuma dans la prise en charge des maladies inflammatoires chroniques de l’intestin, Bernard Galouse, Sciences pharmaceutiques, 2023)
3 – cite en note 1
4 – Le NIH RePORTER donne accès, via un site web, à des rapports, des données et des analyses des activités de recherche des NIH, y compris des informations sur les dépenses des NIH et les résultats des recherches soutenues par les NIH
5 – Complementary and alternative medicines and liver diseases, Philips et al., Hepatology Communications, avril 2024
6 - Quels sont les effets secondaires du curcuma en complément ? Julien Venesson
7 - Effect of cinnamon and turmeric on urinary oxalate excretion, plasma lipids, and plasma glucose in healthy subjects, Minghua Tang et al., Am J Clin Nutr., 2008
8 - Curcuma ou curcumine dans les compléments alimentaires : des cas d’effets indésirables hépatiques, Anses