25 / 06 / 2024
L’obésité , une question d’hormones : comprendre pour agir
L’obésité , une question d’hormones : comprendre pour agir
Peut-être avez-vous vu le documentaire sur Arte à propos de l’obésité ! J’en profite pour faire une mise au point plus approfondie afin que vous compreniez mieux les mécanismes qui entrainent et entraineront encore l’humanité à devenir obèse si nous ne réagissons pas très rapidement.
Pour revoir le reportage sur YOUTUBE
Constat
L’obésité est en constante augmentation dans le monde entier, tant dans les pays développés qu’en voie de développement. La France n’est pas épargnée avec désormais près de 10 millions de personnes vivant avec une obésité, contre 8,5 millions en 20201. Plutôt que d’y voir une responsabilité purement individuelle (on est gros parce qu’on mange trop et qu’on ne bouge pas assez), reposant sur un dogme, le Dr Robert Lustig, endocrinologue américain, nous éclaire sur les fondements biochimiques de cette maladie, qui constituent la vraie question.
Parce que comprendre, c’est pouvoir agir.
Pendant 100 ans, la schizophrénie a été considérée comme un trouble du comportement. On sait maintenant qu’il s’agit d’un défaut dans la neurotransmission de la dopamine, et probablement, en fait, d’un défaut dans le transport du glucose à travers le cerveau. Il s’agit là donc de problèmes biochimiques qui se manifestent finalement par un trouble du comportement, comme le souligne le Dr Robert Lustig2. Il nous invite à voir l’obésité de ce point de vue biochimique et non pas du simple point de vue comportemental, relevant donc de la pure responsabilité individuelle : on choisit ce que l’on met dans sa bouche, donc on est gros parce qu’on mange trop et qu’on ne bouge pas assez. L’obésité ne serait que « gloutonnerie » et « paresse », pense-t-on. Mais on se trompe. Tout ce que nous savons sur l’obésité est faux, tranche le Dr Lustig3. Nous sommes aujourd’hui toujours dans la phase des 100 ans d’ignorance qu’a connu la schizophrénie, concernant la compréhension de l’obésité. Le Dr Lustig nous éclaire sur la vraie question dont peut découler la connaissance : quelle est la physiologie derrière l’épidémie d’obésité ? Pourquoi mange-t-on trop et ne fait-on pas assez d’exercices ?
Une calorie n’est pas une calorie
Première étape avant d’entrer dans les processus biochimiques en eux-mêmes, il faut commencer par tordre le cou à une idée reçue, un dogme même, qui a la vie dure.
Certes, l’obésité obéit au premier principe de la loi de thermodynamique selon lequel l’énergie totale à l’intérieur d’un système fermé reste constante. Dans le cas des systèmes thermodynamiques fermés, il s’énonce de la manière suivante : « Au cours d’une transformation quelconque d’un système fermé, la variation de son énergie est égale à la quantité d’énergie échangée avec le milieu extérieur, par transfert thermique (chaleur) et transfert mécanique (travail) ».
Il ne s’agit pas de contester cette loi, mais comme au tribunal, il y a la loi et l’interprétation que l’on fait de cette même loi. Dans le cas qui nous intéresse – l’obésité -, deux interprétations s’offrent à nous : si on mange, on a tout intérêt à brûler cette énergie, sinon on va la stocker. Si c’est vrai, c’est une question de balance énergétique. Ainsi, l’obésité serait le résultat de deux comportements aberrants, traduit le Dr Lustig : calories absorbées – gloutonnerie, calories dépensées - paresse. C’est finalement ce que presque tout le monde suppose : si vous êtes obèse, vous devez manger trop ou faire trop peu d’exercice. Ou les deux. Donc, c’est votre faute, votre responsabilité individuelle : faites un régime et mettez-vous à l’exercice, cela résoudra le problème… Non. Cela repose sur le dogme que, si on mange plus qu’on ne brûle, on prend du poids, et donc si on mange moins qu’on ne brûle, on perd du poids, parce que toutes les calories sont les mêmes, se valent, toutes les calories comptent, peu importe d’où elles viennent. Une calorie est une calorie.
Ce qui est complètement faux, mais c’est ce que tout le monde croit. Le problème, c’est que cette ignorance est (sciemment) entretenue par d’aucuns, l’industrie alimentaire en première ligne, car cela la sert grandement4. C’est elle, d’ailleurs et soit dit en passant, la vraie responsable (s’il doit y avoir un coupable de base dans l’histoire) de l’épidémie mondiale d’obésité actuelle, plus précisément de syndrome métabolique, comme nous l’avons vu en détail dans notre article sur Le fructose : l’ennemi N°1 des sucres.( lien vers l’article) C’est bien « grâce » à elle que, oui, nous mangeons plus qu’avant. Mais la vraie question est : pourquoi ? Que se passe-t-il dans notre corps pour que l’on ait besoin de manger autant ?
Quels sont les fondements biochimiques derrière la « gloutonnerie » et la « paresse » ?
Quand la biochimie guide le comportement
Deux hormones précisément vont permettre de répondre à cette question : La leptine et l’insuline.
La leptine
La leptine est une hormone sécrétée par nos cellules adipeuses qui va à notre cerveau et l’informe qu’il a assez d’énergie à bord pour s’engager dans des processus métaboliques normaux et coûteux. Il peut brûler de l’énergie à un taux normal et se sentir bien en le faisant. Tant que notre cerveau voit la leptine, tout va bien. S’il ne la voit pas, il considère cela comme de la famine.
La leptine participe donc du contrôle de la prise alimentaire. C’est elle qui vous dit, stop, tu as assez mangé !
L’insuline
L’insuline, de son côté, dit deux choses. Elle dit à nos cellules adipeuses : stockez l’énergie, et elle dit à notre cerveau : arrête tout, je suis en train de métaboliser un repas, je n’ai pas besoin de plus, laisse-moi faire avec ce que j’ai.
Cela fait donc partie du signal de la satiété.
Donc, l’insuline dit à nos cellules adipeuses de grossir et elle dit à notre cerveau d’arrêter de nourrir les cellules adipeuses. Exactement l’opposé, en somme. C’est précisément ce rôle dichotomique de l’insuline qui est la clé de voûte de la compréhension de la physiologie de l’obésité.
Les deux hormones en action
Quand notre hypothalamus reçoit bien le signal de la leptine, qui l’informe donc de l’énergie à brûler, il active le système nerveux sympathique, la partie combat/fuite du système nerveux, qui innerve nos muscles et nos cellules adipeuses, pour brûler tout cela. Le tonus ainsi donné aux muscles nous fait bouger (à l’image des enfants qui grimpent aux murs dans les goûters d’anniversaire !) et celui qui est donné aux cellules adipeuses libère l’excès de graisse, qui sera utilisé plus tard comme énergie. Et la leptine dit à notre nerf vague, le nerf de stockage de l’énergie : je n’ai plus faim, l’appétit a diminué et arrête de libérer de l’insuline.
En un mot, tout va bien : je n’ai plus faim, je n’ai pas besoin de plus et je peux brûler de l’énergie efficacement. Cette voie de rétroaction négative nous maintient dans l’équilibre énergétique aussi longtemps que notre cerveau peut voir sa leptine.
Si inversement, la leptine n’atteint pas notre cerveau, s’il ne la voit pas, c’est une tout autre histoire : il croit qu’il est en famine. Il a faim. Il a besoin de plus de nourriture car il est affamé, et comme il est affamé, il va essayer de conserver, et non plus brûler. Le tonus de notre système nerveux sympathique diminue, et on reste assis des heures sur le canapé, et notre nerf vague remonte pour augmenter notre appétit, donc on va générer plus de calories afin d’en mettre plus dans nos cellules adipeuses pour essayer d’obtenir davantage de signal de leptine.
Et c’est le même chemin de rétroaction négative que montré auparavant. Mais par la voie orexigène, comparée à la voie anorexigène précédente.
Ce n’est jamais de la gloutonnerie et de la paresse, comme le souligne très bien, le Dr Lustig, c’est toujours biochimique.
Pourquoi notre cerveau ne voit pas la leptine ?
Qu’est-ce qui fait que la leptine n’atteint pas l’hypothalamus ? Cela peut être une question de génétique, à l’instar de la souris OB/OB, la souris dépourvue génétiquement du signal de la leptine. Elle a juste zéro leptine. Son cerveau pense qu’il meurt de faim tout le temps, donc elle mange tout ce qu’elle voit, et non seulement cela, mais en plus c’est l’ultime « papate de canapé », pour reprendre l’expression du Dr Lustig. Son cerveau pensant qu’il meurt de faim, il ne veut pas brûler d’énergie, il veut la stocker.
Après, il y a des personnes déficientes en leptine : 14, au dernier décompte selon le Dr Lustig. Elles sont toutes issues de mariages consanguins et elles sont toutes d’ascendance pakistanaise ou turque. Elles avaient un poids parfaitement normal à la naissance mais affichaient déjà une obésité massive à l’âge 6 mois. Juste parce que leur cerveau est constamment affamé.
Le Dr Lustig, en tant qu’endocrinologue, reçoit nombre de jeunes patients obèses (tel ce patient de 9 ans, pesant 99 kilos qu’il cite en exemple). Il a mis en place une thérapie hormonale substitutive consistant à donner de la leptine (en bouteille en lieu et place des cellules adipeuses) chaque jour avec des résultats assez impressionnants. Ses patients perdent du poids en peu de temps, et c’est aussi toute la masse grasse qu’ils perdent.
Donc, pour revenir à ce que nous disions précédemment, moins de 20 personnes sont déficientes en leptine, qu’en est-il du reste d’entre nous qui ne le sommes pas ? Nous sommes résistants à la leptine. Nous avons tout ce qu’il faut de leptine et elle est en corrélation avec la quantité de graisse corporelle dont nous disposons, mais notre cerveau ne la voit pas : qu’est-ce qui bloque ? Ce facteur bloquant, c’est l’insuline.
De nombreuses études biochimiques, moléculaires, génétiques, montrent aujourd’hui que l’insuline bloque la signalisation de la leptine en agissant sur les mêmes neurones du cerveau. Et c’est là le point : l’insuline bloque la signalisation de la leptine, pourquoi ?
Il s’agit là d’un processus physiologique qui nous est vital. Mais juste deux fois dans notre vie. À deux périodes de notre existence, nous devons en effet réellement prendre du poids : la grossesse et la puberté, qui sont toutes deux nécessaires à la survie de l’espèce. Si notre leptine fonctionnait correctement tout le temps, on brûlerait tout notre glucose avant d’avoir pu prendre un gramme, et… on disparaîtrait tout bonnement ! Ces deux moments de l’existence où on doit prendre du poids sont des états de résistance à l’insuline où cette dernière s’élève très spécifiquement pour la prise de poids. Une fois le cordon coupé, le bébé sorti, les hormones sexuelles « calmées », la résistance à l’insuline s’en va, on perd du poids, et on peut tout recommencer.
Le problème, c’est qu’avec notre mode de vie actuel, l’insuline bloque la leptine tout le temps, parce que notre taux d’insuline est élevé en permanence. Nous sommes aujourd’hui tous affectés d’hyperinsulinisme.
Nous libérons le double, voire le triple de la quantité d’insuline que nous ne le faisions il y a 35 ans. Et il ne faut pas aller chercher bien loin le pourquoi de cette augmentation faramineuse : c’est le sucre. Il est présent partout dans les aliments transformés et ultra-transformés sous 262 appellations qui disent tous la même chose : c’est du sucre, avec une mention spéciale pour le fructose, ennemi N°1 des sucres. Figurant sur les étiquettes de produits sous les appellations sirop de maïs ou sirop de maïs à haute teneur en fructose, le fructose est aussi mauvais que l’alcool - dont il est le cousin métabolique - pour notre foie, qui plus est. Nous ne reviendrons pas sur ce point, évoqué en détails dans notre article sur le fructose.
Que faire ?
Le retour à un taux d’insuline normal est une priorité absolue : nous l’avons vu, c’est cette hormone qui est la clé de voûte de la compréhension de la physiologie de l’obésité. Un retour à la normal passe par la maitrise des pics de glucose au quotidien et tout au long de la journée comme nous l’avons vu dans Révolution glucose (voir article). Quand on lisse sa glycémie, on lisse de fait son insuline. Cela passe bien sûr, au niveau de l’alimentation, par une très forte limitation du sucre, une alimentation la plus naturelle possible, une éviction totale dans l’idéal - ou tout du moins une grande limitation - des aliments industriels bien sûr, ce qu’on appelle les aliments ultra transformés, qui existent même dans les magasins de bio, et une consommation de fruits, riches en fructose, raisonnée, quoique les fibres qu’ils contiennent permettent de limiter l’absorption du glucose et donc la libération d’insuline qui l’accompagne. Nous n’avons pas besoin du fructose. Il n’intervient dans aucune réaction biochimique de notre corps et est stocké directement sous forme de graisse.
En parlant de graisse justement, avec laquelle nous entretenons un rapport un peu particulier, il est important d’évoquer un dernier point pour conclure.
Ne pas confondre graisse viscérale et graisse sous-cutanée
Le problème de l’obésité n’en est pas vraiment un dès lors que l’on se sent bien dans son corps et que tous les voyants biologiques sont au vert, c’est-à-dire qu’on ne présente aucun des composants spécifiques du syndrome métabolique - qui lui est le vrai problème -, ce qui est le cas de 20% des personnes obèses. Elles se portent parfaitement bien avec des dynamiques normales d’insuline et vivent toute une vie sans tomber malade avant de quitter ce monde à un âge normal. Au contraire, 40% des personnes minces présentent au moins un composant spécifique du syndrome métabolique, et notamment un foie gras. La faute au sucre donc, et notamment le fructose, comme expliqué dans un précédent article. Celle du foie n'est pas de la bonne graisse, c’est ce que l’on appelle de la graisse viscérale. Elle ne doit pas être confondue avec la graisse sous-cutanée qui, elle, est une bonne chose en soi.
En effet, le tissu adipeux sous-cutané est en fait protecteur. C’est lui principalement qui sécrète la leptine, et aussi l’adinopectine (molécule impliquée dans le métabolisme énergétique), entre autres bonnes choses, il nous apporterait même la longévité.
Le tissu adipeux viscéral (ou péri viscéral), quant à lui, est la principale source de cytokines pro-inflammatoires et de peptides bioactifs comme le VEGF (facteur de croissance de l’endothélium vasculaire).
L’augmentation du tissu adipeux viscéral est particulièrement liée aux complications de l’obésité, telles que le diabète de type 2, les maladies cardiovasculaires et les dyslipidémies, mais est accentuée par le stress chronique qui, faisant monter le cortisol, augmente le taux de glucose dans le sang (pour combattre) et de ce fait, entraine une augmentation de l’insuline alors que l’augmentation du tissu adipeux sous-cutané pourrait s’avérer protectrice vis-à-vis de ces dernières5.
Donc les ennemis sont toujours les mêmes : l’excès de glucides et le stress chronique.
A bon entendeur !
Marion Kaplan et Myriam Marino
Notes :
1 – Selon l’étude 2024 de l’Observatoire français d’épidémiologie de l’obésité (Oféo), lancée par la Ligue nationale contre l’obésité (LCO), et menée dans la continuité d’ObEpi-Roche 2020. Au niveau mondial, plus d’un milliard de personnes sont touchées par l’obésité. Depuis 1990, cette maladie chronique a doublé chez les adultes et quadruplé chez les enfants et les adolescents âgés de 5 à 10 ans.
2 – Fructose 2.0, Dr Robert Lustig
3 – Everything you knew about obesity is wrong !, à regarder ici : https://www.youtube.com/watch?v=k10chQmT1Eg
4 – L’étude des moyens mis en œuvre pour produire, préserver et propager l’ignorance a pour nom scientifique l’agnotologie (qui étudie aussi l’ignorance en elle-même, ou absence de connaissance), terme inventé en 1992 par l’Américain Robert Proctor, historien du tabac. Elle permet de décrypter les petits et grands stratagèmes des industries, des gouvernements ou encore de l’armée pour noyer la vérité en vue de servir leurs intérêts. Le Dr Lustig se passionne pour cette science qu’il décrit en détail en introduction dans la vidéo citée précédemment
5 - Tissu adipeux et cancer, une association à haut risque, Victor Laurent et al., Med Sci, avril 2014