2 / 11 / 2023
Révolution keto : Comprendre les mécanismes / partie 1
Je vous propose aujourd’hui de revenir sur le régime cétogène qui fait beaucoup parler de lui aujourd’hui affrontant les « pro kéto » en raison de ses bénéfices sur la santé et son potentiel thérapeutique dans nombre de maladies, et les « contre » le considérant au mieux comme un effet de mode, au pire dangereux pour la santé. Mon propos ici n’est pas de les départager (même si j’observe moi-même cette diète), mais de voir ensemble quels en sont les mécanismes.
En direct avec Marion : Révolution Kéto
Petit rappel de ses bénéfices
J’ai eu l’occasion dans un précédent article de faire un tour d’horizon sur cette diète (Tout sur le régime cétogène) qui nous a permis de voir ensemble les nombreux bienfaits sur la santé, contre le surpoids et l’obésité, le diabète en permettant de contrôler la glycémie, ses bénéfices sur la performance et la récupération pour les sportifs, son utilisation centenaire dans l’épilepsie, ainsi que ses vertus anti-inflammatoires. Le régime cétogène, enfin, est expérimenté dans les traitements contre les cancers1, mais également les maladies neurodégénératives, telles que la maladies d’Alzheimer et de Parkinson.
La diète cétogène ne constitue pas pour autant la panacée, s’accompagnant d’inconvénients et effets secondaires non négligeables (mais possiblement maîtrisables comme on pourra le voir dans un prochain article), et nous savons tous qu’il n’existe pas de diète idéale, chacun d’entre nous ayant son propre terrain, unique par définition.
Très riche en graisses, elle n’est pas du tout recommandée, à titre d’exemple, chez les personnes présentant le polymorphisme génétique apoE4 (L’étude de notre génome enfin accessible !) caractérisé par une tendance à accumuler les graisses, donc à faire grimper le cholestérol, avec de plus fortes réactions aux graisses saturées, telles que la viande rouge ou encore les produits laitiers. En manger beaucoup (comme le préconise le « mode céto ») peut potentiellement réveiller le loup qui dort, c’est-à-dire favoriser le risque associé à ce génotype d’hypercholestérolémie et la prédisposition aux maladies cardiovasculaires qui en découlent, mais aussi de maladie d’Alzheimer.
En revanche, elle correspond tout à fait aux apoE2.
Donc ce n’est pas la panacée, mais elle a le très gros avantage de limiter grandement, drastiquement, voire de bannir de l’alimentation notre ennemi mortel : le sucre.
Très riche en graisses, modéré en protéines, pauvre en glucides
Pour rappel, le régime cétogène est très riche en graisses, modéré en protéines (juste ce qui est nécessaire pour entretenir notre fonctionnement métabolique de base et préserver notre masse musculaire maigre, ni plus ni moins2) et pauvre en glucides.
C’est le régime LCHF (de l’anglais low carbohydrate, high-fat) poussé à l’extrême qui exclut pratiquement tous les glucides, hormis ceux qui sont présents dans les légumes à feuilles verts (les nutritionnistes les appelaient autrefois « légumes 5% » car seulement 5% de leur poids est composé de glucides digestibles, le reste étant essentiellement constitué d’eau et de fibres. Fibres qui - je le rappelle - ont une digestion et une assimilation lentes, ce qui minimise leur impact sur la glycémie et la sécrétion d’insuline), et en infime quantité dans la viande. Gary Taubes utilise de son côté l’appellation régime LCHF/cétogène, c’est-à-dire qui produit des cétones, qui sous-tend les deux concepts3.
Il n’y a pas un, mais des régimes cétogènes, allant de la tolérance zéro en matière de glucides, à ceux qui en tolèrent quelques-uns en raison des nombreux bénéfices sur la santé qu’ils présentent quand ils sont riches en bons nutriments comme c’est le cas pour les légumes frais, colorés et riches en antioxydants, mais aussi les fruits de saison et les féculents comme la patate douce (à consommer en quantités modérées), ainsi que les aliments riches en bonnes graisses, comme les graines et les oléagineux, les produits laitiers entiers ou le chocolat noir à haute teneur en cacao, comme le souligne Mark Sisson4.
La très grande majorité des régimes cétogènes bannit les féculents, les céréales et les huiles raffinées.
L’idée générale est de remplacer les glucides par l’équivalent calorique en lipides.
Provoquer la cétose
Cette réduction drastique des glucides au profit des lipides vise à provoquer un état de cétose.
Je vous rappelle que le métabolisme du glucose constitue la première étape du processus de production d’énergie (ATP) cellulaire assurée par nos mitochondries (Voyage en mitochondries). L’apport en glucose étant - dans la condition d’un régime cétogène - insuffisant pour faire face à leurs besoins, nos cellules utilisent un « système alternatif », une voie annexe pour produire de l’énergie passant par la dégradation des acides gras.
En effet avec la baisse de la glycémie et de l’insuline en circulation, la graisse des tissus adipeux est mobilisée et brûlée par les cellules du foie. La synthèse des corps cétoniques opérée par le foie commence à générer des cétones à même de se substituer au glucose pour fournir l’énergie dont le cerveau a besoin5. Ces cétones constituent une source d’énergie vitale pour ce dernier, mais aussi pour le cœur pendant les périodes de jeûne. Je reviendrai sur le jeûne un peu plus tard, car il a toute sa place dans le régime cétogène.
La cétose est un état métabolique dans lequel l’organisme accumule des cétones dans le sang plus rapidement qu’il n’en brûle. Le fait d’être en cétose n'indique pas automatiquement notre capacité à brûler des cétones comme carburant, précise bien Mark Sisson. Si les glucides sont encore trop présents, la cétose va durer quelques jours, et les cétones vont être excrétées par les urines et la respiration. Il est donc impératif de sortir de la dépendance aux glucides pour passer de « brûleur de glucose » à « brûleur de graisses », qui s’avère ni plus ni moins notre condition originelle, car c’est ainsi que l’être humain a été conçu comme nous allons le voir.
Bien différencier cétose et acidocétose
J’en profite pour préciser que la cétose ne doit pas être confondue avec l’état d’acidocétose pathologique lié au manque d’insuline. La confusion règne en effet entre les deux, y compris chez les professionnels de santé. L’acidocétose est, comme le souligne Mark Sisson, une complication potentiellement mortelle qui se produit principalement chez les diabétiques qui ne fabriquent plus d’insuline et chez les alcooliques dont le foie fonctionne mal.
Les cétones se mesurent en millimoles par litre (mmol/L). Avec un régime classique riche en glucides, leur taux est susceptible d’avoisiner les 0,1 mmol/L. Après un jeûne de 12 heures, il aura triplé pour atteindre les 0,3 mmol/L. En jeûnant plusieurs jours, le taux peut atteindre entre 0,5 et 10 mmol /L. Rien à voir avec les taux de corps cétoniques liés à l’acidocétose diabétique dépassant généralement 20 mmol/L6 !
L’insuline au cœur du métabolisme des graisses
L’insuline stoppe immédiatement la synthèse de cétones par le foie. La présence de l’insuline signifie en effet que le taux de sucre sanguin est élevé et donc il est plus pertinent pour les cellules de le métaboliser en le brûlant pour produire de l’énergie ou en le stockant sous forme de glycogène, voire en le transformant en graisse. C’est l’erreur, mais ce n’est pas la faute de nos mitochondries qui prennent ce qu’on leur donne. Dès lors que le glucose est présent, elle se jette dessus en priorité pour fabriquer de l’énergie car nos besoins sont immenses. De la rapidité au détriment de l’efficacité.
En fait, l’insuline est le principal régulateur du métabolisme des graisses. Cette dernière remplit de nombreuses fonctions dans l’organisme dont la principale consiste à contrôler la glycémie, mais elle le fait en favorisant le stockage de la graisse.
C’est la seule hormone parmi toutes celles connues à stocker les graisses (tandis que les autres, comme l’adrénaline par exemple, les libèrent), ce qui nous empêche de les brûler. Nous n’y avons pas accès. Plus on mange de glucides, plus notre pancréas (et plus précisément les cellules bêta du pancréas situées dans les îlots de Langerhans) sécrète d’insuline pour compenser ce surplus de glucose dans le sang, toxique pour l’organisme. Un cercle infernal qui va crescendo…
Non seulement on ne brûle pas les graisses, mais en plus on rend nos cellules résistantes à l’insuline, et on finit par épuiser notre pancréas. Ce petit organe si vital (et si malmené) qui ne pèse que 80 grammes, 100 au plus chez la femme, et 100 à 120 chez l’homme, dont seuls 5%, soit quelque 4 minuscules grammes (chez la femme), vont déterminer tout notre métabolisme : notre réponse à l’insuline et notre gestion du glucose dans le sang. Or, notre possibilité de gérer le glucose vieillit tout comme nous, notre insuline aussi, et notre capacité d’adaptation au glucose. Ce qui signifie en clair que, quoi qu’il arrive, tout le monde se « diabétise » plus ou moins en vieillissant, se caramélise, ce qui entraîne toutes les conséquences désastreuses sur la santé que l’on ne connaît que trop comme nous l’avons ensemble dans un précédent article (Ma révolution glucose).
Avec la cétose, rien de tout cela. Elle ne peut se produire que lorsque le taux d’insuline est extrêmement bas, avec une quasi-absence de glucides dans l’alimentation et un taux de sucre sanguin compris dans la fourchette basse préconisée. Notre pancréas est préservé. Et pas que lui.
Un système de production d’énergie ancestral
Qui plus est, ce système alternatif de production d’énergie par la combustion des graisses et des cétones nous est bien connu, même s’il est enfoui sous des millénaires d’évolution. L’avènement de la culture des céréales dans un premier temps, puis l’élevage du bétail dans un second temps, ont eu raison de ce système de production d’énergie marquant le point de départ, il y a environ 7 000 ans, de notre dépendance toujours plus importante aux glucides.
Chasseurs-cueilleurs que nous étions en des temps reculés, la cétose n’était pas notre quotidien mais pas loin. Ne disposant pas toujours de sources suffisantes de glucides de qualité, alors que nous avions besoin d’un apport régulier de glucose pour préserver l’acuité de nos fonctions cognitives (une question de vie ou de mort alors !), nous avons développé cette voie annexe de production d’énergie particulièrement efficace, saine, et rassasiante !
Nous avons été conçus brûleurs de graisse, et nous voilà devenus brûleurs de glucose, et non pour le meilleur et pour le pire. Pour le pire uniquement. Le glucose est une source d’énergie rapide, mais un carburant peu efficace – nous avons vu que nos mitochondries étaient bien plus friandes des acides gras que du glucose (Voyage en mitochondries) - et sale, comme dit si bien Gary Taubes. Car le sucre nous rend gros, il nous affame (on a tout le temps faim) et il nous faut régulièrement « faire le plein », et surtout il nous malade.
Il faut savoir que notre patrimoine génétique est resté identique à celui de chasseurs-cueilleurs carburant aux matières grasses, en relative indépendance de sources externes, ainsi que nous le rappelle Mark Sisson.
Si notre corps ne peut stocker que 400 à 600 grammes de glycogène dans le foie et les muscles, nos réserves de graisses sont énormes : plusieurs kilos représentant des dizaines de milliers de calories stockées chez chacun d’entre nous, y compris chez les personnes les plus minces.
Quand notre taux d’insuline est relativement bas, notre corps a alors accès, comme nous l’explique Gary Taubes, à d’importantes réserves de carburant : 9 kg de graisse corporelle représentant plus de deux mois d’énergie. Et de citer cet exemple parlant du marathonien Eliud Kipchoge, médaillé d’or aux Jeux olympiques et premier à avoir couru un marathon en moins de deux heures en octobre 2019, qui, même avec ses 56 kg, dispose de suffisamment de graisse pour alimenter son organisme pendant une semaine en puisant dans ses réserves.
Alimenté en permanence par cette réserve de graisse, notre corps est satisfait, notre appétit émoussé, notre cerveau ne nous pousse pas à un surplus de nourriture. Tout va bien. Notre métabolisme ronronne, on a l’esprit tranquille et on peut même sauter des repas en toute sérénité, sans être tenaillé par la faim.
L’intérêt du jeûne
Pour parfaire le régime cétogène, la « vie en mode céto » comme dit Gary Taubes, il est préconisé de jeûner. Le jeûne apparait en effet comme un complément efficace à ce régime et beaucoup de médecins recommandent de l’y associer, que ce soit le jeûne intermittent ou le jeûne intermittent avec un temps d’alimentation restreint.
Le jeûne, d’une manière générale, augmente en effet la durée pendant laquelle notre taux d’insuline est bas et où nous mobilisons la graisse pour produire de l’énergie, ce indépendamment des autres bienfaits de cette pratique sur la santé.
Un virage à 180 degrés, plusieurs étapes
Alors bien sûr, passer à l’alimentation cétogène, c’est opérer un virage à 180 degrés. Un changement radical dans la manière de s’alimenter, mais avec la cerise sur le gâteau (autorisée celle-là !), de la bonne santé au bout du chemin, si toutefois on est céto-compatible.
La diète cétogène ne se fait pas du jour au lendemain et comporte plusieurs étapes. Mark Sisson, par exemple, en a élaboré trois, avec en premier lieu une phase de réinitialisation métabolique de 21 jours, suivie d’une phase de réglages fins grâce au jeûne, puis d’une période de cétose d’au moins six semaines. Au cours de la phase de réinitialisation, outre l’alimentation, il nous invite à axer nos efforts sur l’exercice (l’augmenter, mais ne pas tomber dans l’excès), le sommeil (à optimiser), et la gestion du stress. Encore et toujours…
La méthode de Mark Sisson en est une parmi d’autres. Vous trouverez celle qui vous convient le mieux si vous vous sentez prêt à vous lancer dans cette aventure qui s’apparente dans un premier temps littéralement à une désintoxication de notre addiction inconsciente au sucre et au blé. Courage !
Voici mon second direct sur le sujet : Comment relancer votre métabolisme en 21 jours, pour moins de kilos et plus d’énergie !
Marion Kaplan et Myriam Marino
Révolution Kéto – Science et pratqiue de l’alimentation cétogène, Gary Taubes, Thierry Souccar Éditions, 2021
Notes :
1 – L’intérêt et l’efficacité potentielle de ce régime extrêmement pauve en glucides (voire sans aucun glucide) dans le cadre du cancer est assez logique dans la mesure où, comme nous l’avons vu en détail dans l’article « Les clés du cancer : le rôle du métabolisme », les cellules cancéreuses tirent leur énergie de la fermentation du sucre. C’est le fameux effet Warburg
2 – Attention aux régimes hyperprotéinés présentés pendant des années comme des ultra-sains. De plus en plus de recherches suggèrent qu’on a besoin de de beaucoup moins de protéines que l’ont longtemps recommandé les experts, plus que ce dont on a besoin pouvant avoir des effets néfastes sur la santé. Qui plus est, pour le sujet qui nous intéresse, un régime hyperprtotéiné (c’est-à-dire qui dépasse régulièrement et de façon significative nos besoins de base en protéines) est au bout du compte un régime hyperglucidique qui favorise le stockage des graisses. Source : La vie en mode céto, Mark Sisson
3 – Révolution Kéto, Science et pratique de l’alimentation cétogène, Gary Taubes, Thierry Souccar Éditions, 2021
4 – La vie en mode céto, Relancez votre métabolisme en 21 jours, Mark Sisson, Thierry Souccar Éditions, 2019
5 et 6 – voir note 3